En charge de la communauté catholique, expatrié au milieu de frères qu'une politique étrangère faisait se dresser les uns contre les autres, il fallut assurer l'accompagnement de communautés antagonistes...
Ça se fait dans l'écoute d'abord. Mais il fallait aussi faire découvrir à l'extérieur une réalité profonde, tout autre que celle que pouvaient présenter les médias... ( et il faut connaître les médias de l'époque ! )
Après l'attaque de la gendarmerie
Après l'attaque de la grotte
Lettre aux chrétiens de Teouta
Sur la prise d'otages
Lettre aux familles des gendarmes tués
Réponse au Comité du 22 Avril 1988
Sur les Jeunes au Service du Développement
Problème du cannabis
Ouvéa, deux ans après
ATTAQUE DE LA GENDARMERIE D'OUVEA
Communiqué à la Presse, 26 avril 1988
Trois gendarmes ont trouvé la mort le 22 avril à Ouvéa.
Les déclarations, les condamnations ont fusé.
Mon premier sentiment a été une lourde peine pour ces hommes qui n'étaient pas venus dans le Territoire avec de mauvaises intentions. Simplement par devoir. Lourde peine pour Mme Dujardin et son fils; pour toutes les familles qui allaient apprendre sous peu le drame qui les touchait. Et il y avait tous ces blessés : l'un, le poignet coupé; les autres - gendarmes ou mélanésiens - pour certains, entre la vie et la mort.
"Je suis catastrophé", dit Mr Lafleur.
"Acte de pure sauvagerie", disent d'autres.
"On n'a jamais vu un Ouvéa agir comme ça" affirme le grand-chef de Weneky (...)
Quand le pouvoir politique utilise toutes les ficelles, toutes les arguties, tous les chantages pour fermer les portes de l'avenir au peuple colonisé; quand, à travers les projets annoncés, il n' y a plus aucune lueur d'espérance, celui-ci n'a plus le choix : il ne lui reste que la pression pour essayer de se faire entendre.
Si la prise d'otages était une action politiquement mûrie, la réaction a surpris, les précédentes occupations s'étant faites sans dommage.
Les gendarmes ont trouvé la mort pour avoir "suivi les consignes"...
C'est ça qui me fait hurler ! Là encore, c'est le même milieu politique stupide et irresponsable, à l'origine de ces ordres, qui est directement en cause.
Mr Pons a beaucoup critiqué les consignes qu'auraient données en leur temps les socialistes, aux forces de l'ordre. Mais cela avait évité des morts. Il est facile pour un ministre de jouer le petit coq, quand ce sont d'autres qui doivent en payer le prix.
Il est facile de se faire aduler à Nouméa ... Peu importe si plaire à Nouméa, doit enfermer le pays dans l'impasse. Peu importe si on construit sa popularité sur un immense gâchis.
Je comprends très bien ce qui se passe au fond de tous ces gendarmes qui sillonnent Ouvéa pour retrouver leurs camarades et leurs agresseurs. Ils sont trop jeunes pour avoir connu les "évènements d'Algérie". J'ai été là-bas dans ce qu'on appelle "les forces de l'ordre", aussi je sais très bien ce qui se passe dans leur tête et dans leur coeur.
Là-bas aussi, quel gâchis ! Combien de morts inutiles pour le bon plaisir de politiciens qui ne voulaient pas "brader la France". Là-bas aussi, il y avait des "terroristes" à éliminer... c'étaient tout simplement des algériens qui n'arrivaient pas à se faire entendre de politiciens stupides ne voyant jamais que la prochaine échéance électorale.
Oui, cette mort de trois gendarmes, tous ces blessés, me mettent en colère contre nos politiciens, ceux de métropole comme les locaux, qui enferment le pays dans une impasse.
Vont-ils encore augmenter la pression : plus de forces de l'ordre, plus d'arrestations, suppression des moyens d'expression du FNLKS... ?
A quoi ça conduira ? Certainement pas à plus de justice, ni à ouvrir les portes de l'avenir.
Une génération d'indépendantistes purs et durs se prépare parmi les enfants, les frères et sours de tous ceux qui sont emprisonnés. Il faut voir même les tout-petits insulter l'hélicoptère qui les survole. On boit maintenant la fierté d'être "Kanaky" avec le lait maternel. Et les vieux et les vieilles qui vous répondent "Oui, monsieur" "Non, monsieur", ne sont pas les derniers à entretenir la flamme !
Non ! Mr Pons, ce n'est pas en ordonnant d'ouvrir le feu que vous résoudrez le problème. Comment peut-on être aussi stupide ! Vous resterez dans la mémoire du pays comme celui qui aura choisi de faire couler le sang pour n'avoir rien compris.
Les pays voisins, l'ONU demandent l'organisation d'un véritable referendum d'autodétermination des populations colonisées. La France - "qui n'a de leçon à recevoir de personne" ! - a préféré un pseudo-referendum qui n'a fait que fermer les portes !
La stupidité n'a décidément pas de limites ... et elle a fait tous ces morts. Quatre maintenant, des suites de l'occupation de la gendarmerie, ... plus tous ceux qui, sur la Grande Terre, ont été tués sur votre ordre, très légalement, très proprement comme font les gens civilisés.
Vous vous êtes incliné, Mr Pons, sur les dépouilles mortelles des victimes de votre politique. Peut-être y ferez-vous déposer une décoration posthume. La seule chose qui aurait du sens serait votre lettre de démission sur chaque cercueil. Ainsi, ce drame aurait au moins entr'ouvert les portes de l'avenir, seule consolation - si cela était possible - pour les familles endeuillées.
APRES L'ATTAQUE DE LA GROTTE D'OUVEA
5 mai 1988, à OUVEA
21 morts
Vingt et une vies uniques, avec chacune son histoire, ses relations, son devenir.
Vingt et une vies qui avaient leur place, irremplaçable, dans le projet de Dieu.
Vingt et une vies anéanties par calcul politique. Le cadeau de Pons à Chirac avant le second tour des présidentielles.
..."Pour l'honneur de l'armée, pour l'honneur de la gendarmerie, pour l'honneur de la France"...!!!
Une vague d'arrestations. Des familles décimées.
"Des terroristes", des "rebelles"...
Noyez un chat, il se débattra !
Etouffez un peuple, il réagira !
"Quelques bandes armées de ci de là..."
Mr Pons compte les fusils et trouve cela bien ridicule... même si c'est "insupportable".
Que représentaient les résistants, par rapport à la population française, lors de l'occupation ?
... et c'était tout un peuple qui rejetait la sujétion.
Il y avait bien sûr, comme partout, les inévitables collaborateurs, les inévitables profiteurs.
Il y avait aussi ceux "qui ne font pas de politique" et qui obéissent au pouvoir quel qu'il soit.
Et il y avait tous ceux qui pensaient que ça ne pouvait plus durer mais qui ne voyaient pas - désespérément - que faire face au pouvoir de l'occupant.
Il en va de même ici.
Les kanaks "loyalistes" ont tout à fait le droit de faire le choix qui est le leur. Mais ils n'ont pas le droit de l'imposer à leurs frères en s'appuyant sur des soldats en armes - venus de 20000 km -, derrière chaque cocotier.
C'est DEMOCRATIQUEMENT, qu'entre eux, les kanaks doivent déterminer leur avenir, selon les règles préconisées par l'ONU dans les cas de pays à décoloniser.
En dehors de cette voie là, il n'y a pas d'avenir possible pour ce pays.
Mr Pons voudrait étouffer la révolte.
On n'éteint pas un volcan !
Quand "un bouchon" pourrait le faire croire endormi, il ne fait qu'emmagasiner des forces qui se libèreront alors qu'on ne s'y attend pas.
27 juillet 1988
LETTRE AUX CHRETIENS DE TEOUTA
( qui ont perdu sept chefs de famille à la grotte )
C'est en tant que Pasteur de votre communauté que je m'adresse à vous. Je suis en effet un peu inquiet de voir que depuis les évènements de Mai vous vous êtes repliés sur vous-mêmes, vous coupant du reste de la communauté paroissiale. Je sais qu'il y a eu des blessures, qu'elles sont profondes et "qu'il faut compter avec le temps". Mais je sais aussi que, au nom du Seigneur, je dois vous appeler à réagir.
Ce n'est pas pour que "tout redevienne comme avant", car rien ne sera jamais plus "comme avant". Je ne rêve pas du temps passé ( pas si loin que ça ) où, avec votre catéchiste, vous étiez une part bien vivante de notre communauté. Non ! Avec Dieu je regarde devant, pas derrière. Nous sommes appelés à donner le pardon et à refaire l'apprentissage de la vie commune. Là est l'avenir. Ailleurs, il n'y a pas d'avenir. Vous allez écouter ou vous n'allez pas écouter, mais vous ne pourrez pas dire que personne ne vous a adressé l'appel anxieux de Dieu.
Certains peuvent avoir l'impression de vivre "des moments historiques", et songer que "la religion", c'est pour les moments ordinaires... "On reverra ça quand la vie aura repris son cours normal".
Ce n'est pas qu'une impression : vous vivez des moments historiques. Mais quelle Histoire allons-nous écrire en nous coupant de Dieu et des autres ? Une Histoire sans avenir. C'est quand l'Histoire met le pied sur l'accélérateur ou aborde des courbes à grande vitesse qu'il faut s'accrocher avec plus de fermeté au volant.
Certains se demandent pourquoi on fait la confirmation cette année. "On a d'autres soucis !" Un de nos soucis premiers ne devrait-il pas être d'accueillir le Souffle de Dieu. Ce Souffle que l'on voit, en Ezéchiel, rassembler les ossements dispersés, y remettre chair et leur redonner vie.
Certains ne veulent pas aller à l'église ... "pour ne pas rencontrer les autres". Ceux qui vont à la messe ne sont ni pire, ni meilleurs que vous. Eux aussi trouvent les difficultés que nous traversons parfois bien lourdes. Il y a aussi beaucoup de souffrances et beaucoup d'interrogations en eux avec les maisons brûlées, le bétail et les chèvres disparus.
... Il n'y a pas d'un côté "les bons" et de l'autre "les méchants". Il y a de part et d'autre des enfants de Dieu à qui leur Père adresse de fervents appels pour qu'ils accueillent cet Esprit qui n'est pas un Esprit de crainte, "qui fait fleurir les déserts" et ouvre tout grand les portes de l'avenir.
Avec les catéchistes, nous avons décidé de nous réunir le 15 août, des trois paroisses, à Teouta. C'est une main que, par amitié pour vous, nous vous tendons tous pour vous aider, les uns et les autres, à faire le pas qui vous fait peur. A ce pèlerinage il y aura sans doute des gens que "vous ne pouvez pas voir", mais avec qui Marie vous invite à marcher de nouveau, côte à côte. Nous voulons vous entourer pour ce ré-apprentissage de la vie commune. Que chacun ne pense pas à ce qui lui a été fait, mais aux difficultés et aux craintes qui habitent le coeur des autres, et que nous sachions trouver les gestes et les attitudes qui redonnent confiance. (...)
18 mai 1988
Quelques éléments de réflexion pour mieux appréhender
LE PROBLEME DE LA PRISE D'OTAGES A OUVEA
se méfier des mots ... "terroristes" ... "assassins"
Il y a terroristes et terroristes, assassins et assassins
Si morts il y a eu à la Brigade, elles n'étaient pas voulues. Elles sont arrivées dans le feu de l'action, mais n'ont pas été "décidées" comme moyen de pression pour obtenir quelque chose.
La revendication à l'origine de l'occupation de la gendarmerie était positive et légitime ... et non crapuleuse : il s'agissait d'obtenir un négociateur de l'Elysée et de Matignon pour débloquer le pays de l'impasse où l'avait enfermé Mr Pons. Il est bien sûr regrettable qu'il faille arriver à de telles actions pour se faire entendre ... mais à qui la faute !
Ce négociateur a été refusé. Au nom de quelle éthique politique ? : "On ne négocie pas avec des terroristes"... Il y a là abus de langage, auto-intoxication des médias, mauvaise foi. "Lorsqu'on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage".
Il s'agissait d'une séquestration, d'une pression, et non d'une opération terroriste. Lorsque des patrons d'usine ont été séquestrés par leurs ouvriers, il n'a jamais été question de terrorisme.
L'opinion publique est plus sensible à certains délits qu'à d'autres ( et la Justice aussi, de ce fait )
Un gouvernement a tous les droits, même celui de refuser à un peuple colonisé les droits qui lui sont reconnus par l'ONU. On peut asphyxier un peuple, le nier comme peuple... ceci est loin d'être toujours condamné. Mais que ce peuple soit acculé à certaines formes de pression pour se faire entendre : les bonnes âmes se mettent à pousser de hauts cris !
On ne peut recouvrir du même mot de "terroristes" les peuples qui luttent pour leur droit ... et les groupuscules anarchistes style Brigades Rouges.
Ce qui s'est passé à Ouvéa doit être situé dans son contexte
Ce contexte est une revendication politique soutenue par les pays voisins du Pacifique, l'ONU, et la "conscience" du peuple kanak ( Eglise évangélique... ).
Ce n'est pas une affaire de politiciens ambitieux, d'irresponsables, de terroristes. C'est une affaire de conscience, un droit, une question de dignité, d'avenir, d'espérance pour un peuple.
La vie des otages n'était pas menaçée
Il n'y a que des gens ignorant totalement le monde mélanésien, ou ne le connaissant qu'à travers l'image qu'en donnent les médias ( ce qui revient au même ! ) qui auraient pu croire à un danger pour les otages. Le seul risque était une pression des forces de l'ordre qui aurait pu créer une tension dangereuse.
Que l'on ait pu faire savoir qu'on craignait pour la vie des otages, dans le but de justifier la prise d'assaut, cela ne trompe personne ( "Plus menteur que moi, tu meurs !" )
Qu'il y ait eu "menace" d'exécution, cela n'est pas à nier. C'était rendu nécessaire pour être écouté. Jusqu'où faut-il aller !
Une telle menace n'aurait jamais été mise à exécution pour des raisons évidentes :
Une exécution aurait été unanimement condamnée, et aurait fait perdre aux indépendantistes tout le crédit qu'ils avaient pu accumuler à l'échelon local, Pacifique, national ou international. Une telle éventualité était donc totalement exclue au départ.
Il n'y avait pas dans la grotte la tension qu'on peut trouver dans un Boeing en bout de piste comme lors d'autres prises d'otages. La grotte était ouverte; beaucoup d'allées et venues; contacts avec la population extérieure...
Les gens de Gossanah, une fois que l'étreinte des forces de l'ordre s'était desserrée à leur égard, avaient eu comme premier geste de tuer un cochon et une chèvre pour les otages ! Ceux-ci étaient des hôtes et les hôtes sont sacrés.
Les otages de Mouli avaient été libérés après des gestes coutumiers faits par les ravisseurs à leur égard. Casse-têtes et tee-shirts déposés sur les 19 cercueils à Wadrilla faisaient partie des dons préparés par les tribus pour les 23 otages dont la libération se négociait. Une fête se préparait pour cette libération .. et puis ... la kermesse s'est changée en massacre de par le calcul politique de Mr Pons.
Peu importait le nombre de morts, même parmi les otages ( on pourrait toujours les mettre au compte de "la sauvagerie des ravisseurs" et ce serait encore tout bénéfice ! ) : la question devait être réglée avant le 2° tour des Présidentielles. Des "kanaks" ne devaient pas avoir le dernier mot ... il en allait "de l'honneur de la France" !... "Un grand pays" qui n'a de leçon à recevoir de personne...
Ignorance ou perversité ?
Mr Pons a toujours parlé négativement des indépendantistes. Il les a toujours dépeints comme le mal incarné, allant jusqu'à les accuser d'avoir voulu massacrer les otages à l'arme automatique lors de la prise d'assaut. L'interprétation du Général Vidal étant différente : "Ils ont tiré vers le fond de la grotte croyant être pris à revers par les commandos qui se seraient introduits par la cheminée".
Deux interprétations. La plus malveillante étant celle de l'homme à qui était confié l'établissement du dialogue en Nouvelle-Calédonie !
Mr Chirac affirme n'avoir aucun respect pour Mr Tchibaou. Quel respect peut-on avoir pour l'homme qui a ordonné l'assaut, quelque puisse être le nombre de morts, alors que des vies n'étaient pas en danger...
22 avril 1989
Lettre aux familles
DES GENDARMES TUES A LA BRIGADE DE FAYAOUE
A l'occasion de cet anniversaire douloureux pour chacun d'entre vous, je me fais l'interprète des gens d'Ouvéa pour vous exprimer leurs condoléances et leur sympathie attristée. Pour eux, ce ne sont pas "des formules". Aujourd'hui, à Lékine, et demain dans les trois paroisses, la Messe sera célébrée à l'intention des vôtres.
C'est une grande souffrance que ces morts. J'ai eu l'occasion de discuter avec ceux qui ont participé à la prise de la Brigade. Certains sont marqués à vie : "Nous n'étions pas allés pour tuer". Ils veulent vous le dire, vous le crier. Même au nom d'une cause qui leur tient à coeur à juste titre, ils n'auraient tiré sur qui que ce soit. A plus forte raison sur des hommes qu'ils respectaient et avec qui ils avaient de bonnes relations.
Il a été raconté beaucoup de choses sur le drame de la Brigade. Je veux vous dire que les gens d'Ouvéa ne sont ni des sauvages ni des assassins. Et les morts dont leur action est la cause restent comme une blessure vive en eux.
Les deux kanaks à qui sont imputés les morts des membres de vos familles ont été l'objet de règlement de comptes après l'assaut de la grotte. Ils ne sont donc pas - hélas - à même de pouvoir expliquer ce qui les a poussés à tirer. Vivant à Nouméa, ils n'avaient pas les mêmes relations avec la gendarmerie que ceux qui restent à Ouvéa, ce qui ne veut pas dire pour autant qu'ils aient eu "le projet" de tuer. Que s'est-il passé alors ? Dieu seul le sait.
Pour ceux qui restent, cette prise de la Brigade, ces morts resteront à jamais un drame. Ils m'ont demandé de vous le dire.
J'aurais voulu vous écrire beaucoup plus tôt, vous rencontrer même, en France, pour vous dire que nous partagions votre peine, mais j'ai crains qu'alors "le message" ne passe pas, les blessures étant trop vives et exacerbées par les médias. Ceux que vous pleurez ont fait leur devoir. Vous pouvez en être fiers. Ils ont tout le respect des gens d'Ouvéa qui vous assurent une fois encore de leur sympathie attristée en ce douloureux anniversaire.
15 juin 1989
Réponse au Président du Comité du 22 avril 1988
A LA MEMOIRE DES GENDARMES D'OUVEA
( après une première lettre pour l'anniversaire du drame )
(...) Fin 1988 j'ai été amené à rencontrer pas mal de groupes en France. J'avoue avoir été surpris de voir combien les morts de la brigade semblaient peu compter pour eux par rapport aux morts de la grotte. "Ce sont les risques du métier" ... "Ils n'avaient qu'à se rendre"... etc. Je les ai surpris... en leur disant ma surprise, et que pour les gens d'Ouvéa un homme est toujours un homme et que ces morts, fussent-ils des blancs et encore plus des représentants de ce certains appellent "l'ordre colonial", ces morts les avaient touchés. J'ai trouvé plus d'humanité vraie dans les réactions des Ouvéa que dans celles de certains français... On ne pouvait non plus leur faire grief de s'être défendu : c'était leur devoir. C'est sûr qu'il aurait pu ne pas y avoir de morts s'ils s'étaient rendus aussitôt, mais il y avait leur devoir, leur honneur. On pourrait disserter là-dessus ; je m'y refuse, par respect pour les morts. Et c'est trop facile, après coup.
"Pourquoi sont-ils allés à la gendarmerie, s'ils n'y sont pas allés pour tuer ?"
A la suite de la façon dont le commando était entré à la gendarmerie - sous un prétexte anodin - j'ai lu à plusieurs occasions que les mélanésiens étaient des êtres fourbes, etc... Je crois surtout qu'ils voulaient éviter des morts.
"Pourquoi sont-ils allés à la gendarmerie ?" Il faut avoir vécu en Calédonie pour le comprendre. Avoir été proche des mélanésiens. C'est un peuple qui a été humilié, marginalisé sur sa propre terre. C'est un peuple qui ne demande qu'à partager son sol, "à exercer le droit d'accueil" comme il dit, mais le gouvernement Chirac usant de toutes les arguties lui avait fermé les portes de l'avenir.
Quant, à travers les projets annoncés, il n'y a plus aucune lueur d'espérance, un peuple n'a plus le choix : il ne lui reste plus que la pression pour essayer de se faire entendre. Tout se liguait contre lui ( cf. lettre à Mr Ravat, Réflexions sur le procès de Tiendanite ) jusqu'au silence de l'Eglise. J'avoue avoir écrit un mot sec à l'Evêque le jour de la prise de la brigade, lui disant que - pour moi - il portait largement sa part de responsabilité dans tous ces morts, en ayant laissé un peuple acculé au désespoir.
J'ai cru deviner que ce qui a été rapporté de mon attitude pendant les évènements a contribué à la souffrance et à la colère des familles. Je n'ai pas cru devoir m'en expliquer jusqu'alors n'éprouvant pas le besoin de me justifier. Si j'assume mes actes, je laisse aux journalistes le soin d'assumer les leurs : c'est leur problème.
On m'a reproché de ne pleurer que les mélanésiens, alors que j'avais réagi aussitôt à la mort des gendarmes, mais seuls certains extraits de mon cri de souffrance et de colère avaient paru dans la Presse. J'avais réagi alors en fonction des seuls éléments que j'avais, le principal étant ma connaissance des gens d'Ouvéa.
Certains ont cru que les leurs avaient été abandonné par le curé qui ne les aurait pas assistés et aurait même servi d'agent de liaison à Alphonse Dianou ! Les faits sont beaucoup plus simples.
Devinant par la radio que la gendarmerie aurait été occupée, je me suis dit que puisque j'avais du courrier à poster, j'allais voir ce qui s'était passé. Je n'étais pas inquiet, la brigade ayant déjà été occupée par deux fois. Devant la Poste, les gens m'ont dit qu'il y avait eu des coups de feu. J'ai estimé de mon devoir d'aller voir : je ne pouvais pas, sachant qu'il y avait eu des coups de feu, repartir tranquillement au presbytère !
A l'entrée j'ai trouvé un homme blessé à la tête ( j'ai cru comprendre après coup que ce devait être le Lt Florentin ). Il y a eu un dialogue très bref
Chanel K. : Père, ne restez pas là, c'est dangereux
Moi : On ne peut pas le laisser comme ça
M des L/Chef Lacroix : Allez chercher le docteur
... pas entendu "de cris de blessés appelant à l'aide" comme on le laisse entendre dans "Opération Victor" ! ( ceux-ci devaient se trouver dans la cour derrière le bâtiment ). Pas "eu peur" : je ne me sentais pas menacé et je pensais alors que c'était le seul blessé.
Arrivant au dispensaire, je vois trois mélanésiens, blessés, et le docteur qui pare au plus pressé. Je lui dis qu'il y a un gendarme qui baigne dans son sang à la brigade. Il me dit qu'il n'y a plus de téléphone pour commander des evasans et me demande de passer voir à l'aérodrome pour faire appeler du secours par les moyens radio. L'agent Aircal que je met au courant me dit leur radio supprimée depuis qu'ils ont l'automatique. On va voir le contrôleur aérien qui essaie son téléphone et dit ne pas pouvoir contacter Nouméa. Je pense que ses moyens radios ne lui permettaient que d'entrer en rapport avec les avions en vol dans son secteur.
Pas vu de lieutenant Destremau.
Que faire ?
Sans repasser par le dispensaire je retourne directement à la brigade pour leur dire qu'il n'y a plus que les moyens radio de la gendarmerie si on veut sauver les blessés.
Dans la cour arrière il y a un blessé à la tête. Le seul. Je pense alors que c'est celui que j'avais vu à l'entrée qui a été transporté ici. Je demande aux gendarmes couchés et au Chef Lacroix s'il y a un infirmier parmi eux ( il y en avait dans les escadrons précédents ), des secouristes, si une des épouses ne serait pas infirmière... Négatif sur toute la ligne. Je fais ce que je peux pour le blessé : un coussin sous la tête, une nappe plastique sur le corps pour protéger de la pluie. ( Après avoir lu journaux et livres... j'ai cru comprendre que e blessé ne serait pas celui que j'avais aperçu en premier lieu. Ce devrait être l'Adjudant-Chef Moulie. Ce n'est que plus tard aussi que j'ai compris qu'il y a d'autres blessés et des morts et qu'ils ont dû être évacués entre mes deux passages à la gendarmerie ).
Retrouvant Chanel K., je lui demande ce qu'ils ont l'intention de faire des épouses. Sa première réaction a été de répondre : on les prend comme otages. Mais comme je lui faire comprendre qu'avec tous ceux qui sont couchés devant, dans la cour, ça suffit comme ça, il acquiesce à ma demande de les laisser se réfugier au presbytère après leur départ.
C'est alors que l'ambulance arrive et prend l'Adj./Chef Moulié qui, alors qu'on le met sur la civière, dit : "Non, les autres d'abord". Comme je ne vois personne d'autre de blessé, je lui dis de se laisser faire. Et je rentre préparer le presbytère pour l'accueil des familles. Très peu de temps après les hélicoptères arrivent.
Voilà les faits dans leur banalité. Je ne voyais pas trop quoi faire d'autre. Intervenir pour que les mélanésiens relâchent les otages et se constituent prisonniers ? Je ne me sentais pas pouvoir leur demander cela. Je ne sentais pas les gendarmes en danger. Tout semblait assez organisé et j'ai pensé alors qu'une telle suggestion n'aurait pas été reçue ( je reste malgré tout à leurs yeux l'étranger, et le représentant de cette Eglise catholique vis-à-vis de laquelle ils ont accumulé tant de griefs ).
Je n'ai jamais adressé - comme il est écrit dans "Opération Victor" ! - de lettres à ceux de la grotte ou à "Mr Dianou Alphonse... Kanaky" ! ça n'est pas mon style. Je pense que la lettre incriminée leur est parvenue par le biais de Pasteurs à qui je l'avais communiquée alors qu'ils étaient venus me voir pour réfléchir sur l'attitude à avoir dans ces évènements.
Je devine cette exigence de la part des familles, que lumière soit faite. On veut savoir comment sont morts les nôtres. On veut comprendre. Je le devine aisément pour devoir vivre avec ces familles, ici, qui se posent les mêmes questions. Comment se fait-il qu'Amossa ait été abattu; pourquoi Samuel, évacué de la grotte entre deux assauts avec une seule blessure, a été retrouvé après avec de multiples impacts; que s'est-il passé pour Alphonse; dans quelles circonstances est mort Wenceslas; comment se fait-il que Séraphin, aperçu blessé avec des militaires, soit compté parmi les morts... etc. etc. Quel paquet de souffrance !
Quelques flashes révélateurs de la façon dont, sous le ministère de Mr Pons, on traitait les mélanésiens :
les familles des victimes de la grotte n'ont pas eu le droit de prendre l'avion à Magenta pour assister aux obsèques des leurs à Wadrilla. Les seuls vols autorisés le dimanche de l'enterrement étaient les charters amenant les électeurs RPCR à Ouvéa pour voter !
les corps n'ont été rendus qu'après 48 h au soleil, la plupart méconnaissables, dans un état de puanteur extrême... Et les noms marqués sur les cercueils ne correspondaient pas aux corps. Des noms étaient indiqués d'hommes qui en fait se cachaient encore dans la brousse... Tout cela alors que les corps avaient été pourtant dûment identifiés pour les OPJ par Benoît Tangopi au sortir même de la grotte.
Etc etc.
Certains prisonniers, libérés par la loi d'amnistie, m'ont dit qu'ils auraient préféré passer en jugement et que toute lumière soit faite. Toute. Mais d'un autre côté on comprend aussi qu'ils aient été "partagés"... devoir passer de longues années en prison avant de passer en jugement, et cette possibilité qui leur était offerte de retrouver les leurs et la liberté aussitôt.
"C'est la nation tout entière qui réclame justice".
Sans en avoir peut-être conscience, je crois que vous situez là le problème à son vrai niveau. C'est plus que quatre meurtres qui doivent être jugés. Ce que vous dîtes de la France peut être dit aussi de la part des mélanésiens : "C'est la nation tout entière qui réclame justice". Les morts des gendarmes, comme celle des mélanésiens à la suite des "bavures", ne sont hélas que les épiphénomènes d'une situation globale qui a besoin d'être réglée en toute justice. J'ai l'impression qu'avec les accords Matignon quelque chose va dans ce sens.
(...)
"Que justice doit faite". J'imagine facilement cette revendication de la part des familles. Mais que TOUTE justice soit faite. Il ne suffirait pas que soient jugés les meurtres des gendarmes sans que soient jugés aussi les hommes qui, par leur choix politique pervers, ont conduit à ce drame.
Justice n'est faite que quand toute justice est faite. Et ce n'est pas évident : là où l'Armée est impliquée, la "raison d'Etat" empêche souvent la Justice de s'exercer.
Vous dîtes être prêts, en tant qu'association de défense des familles, à vous rendre à Ouvéa pour rencontrer les gens. Je crois que le moment n'est pas encore venu. A cause des blessures toujours vives. Comme quelqu'un, cause d'un accident tragique, redoute toujours de rencontrer les familles éprouvées.
Voilà, Monsieur, les réflexions qui me sont venues à la lecture de votre lettre. Puisse la paix rejoindre toutes les familles.
Avec tout mon respect pour celles-ci, et ceux qui les soutiennent.
13 septembre 1989
LA PREPARATION DE L'AVENIR
Lettre au Maire d'Ouvéa
aux Président et Conseillers de la Province des Iles Loyautés
Je veux exprimer ici quelques craintes. Sont-elles fondées ou non, à vous de le dire.
Etranger dans ce pays, je pourrais après tout ne pas me sentir concerné... Mais je n'arrive pas à rester indifférent au devenir de ceux qui m'entourent.
L'avenir, je le vois dans la possibilité pour chacun d'assumer sa vie, de se prendre en charge, de se réaliser... et de contribuer au bien commun ( un point à ne pas oublier ! )
Assumer sa vie, se prendre en charge, se réaliser...
Pour cela, l'individu doit sortir de l'état de dépendance absolue.
Pour cela, il faut viser avant tout à relancer l'esprit d'initiative et de responsabilité sans lesquels il n'y a pas de véritable avenir possible.
Veiller à ce que l'intervention de la collectivité n'annihile pas au contraire l'esprit d'entreprise : "On n'a plus à chercher quoi faire pour vivre, la collectivité va s'en occuper pour nous".
Si les actions entreprises contribuaient à créer cette mentalité, ce serait un désastre incalculable.
Proposition : aider de préférence ceux qui auraient "un projet" visant le développement, la moindre dépendance. Fournir du travail systématiquement à n'importe qui, dans la seule mesure où il s'est "inscrit" sur une liste, annihilerait l'esprit d'entreprise et serait un recul incroyable : hier il fallait se battre pour vivre, savoir imaginer ... toutes les capacités étaient mobilisées; aujourd'hui, toutes ces facultés qui font "l'homme-debout" risquent de s'atrophier dans la mesure où il suffirait maintenant de s'inscrire et d'attendre !
Veiller à ce que l'aide que la collectivité peut apporter aux individus n'ait pas d'effets seconds démobilisateurs. Il ne faudrait pas que, pour occuper les JSD, on leur confie des travaux qui étaient pris en charge de façon tout à fait normale par les individus : ça n'aiderait pas ces derniers à devenir moins dépendants et plus entreprenants !
L'aide apportée par la collectivité doit être formatrice, pour servir l'avenir.
Profiter des plans JSD pour former aux contraintes et aux exigences du travail salarié : formation au respect des horaires, sanction de l'absentéisme injustifié... Ce n'est pas imposer des contraintes inutiles, mais préparer aux exigences de tout travail salarié en entreprise.
Il serait contre-éducatif que de fournir un salaire qui ne correspondrait pas à un travail effectivement réalisé. On croit aider les gens en proposant aux jeunes une possibilité de rémunération, mais on rend un très mauvais service au Pays en laissant croire que l'argent tombe du ciel. Non : l'argent est produit par un travail donné.
L'aide apportée par la collectivité doit former à la gestion, initier aux notions d'amortissement, de rentabilité ... notions de base de l'économie.
Des bateaux sont offerts; des tribus réclament des mini-bus pour pouvoir mieux se déplacer ( "quand il y a des mariages, des fêtes..." sic ! )
Offrir un bateau ne va pas inciter à la pêche... mais si on réclame une certaine somme chaque mois, alors il y aura plus de chances que le bateau soit utilisé et entretenu. On imposera les concepts de rentabilité et d'amortissement qui ne sont pas évidents à des non-initiés, mais qui sont des réalités incontournables pour mener à terme des projets qui se tiennent. La même chose pour un mini-bus : il faut que chacun prenne conscience du coût des choses.
Le travail des uns ( Europe ) ne doit pas entretenir la passivité des autres, mais générer un dynamisme de prise en charge de l'avenir "en coût réel".
Hier, des gens étaient producteurs de richesse par leur travail; aujourd'hui, ils attendent simplement qu'arrive leur tour sur la liste JSD !
De façon presque inévitable, l'argent-facile est investi dans des futilités ( radio-cassettes géants, alcool, sorties à Nouméa... ). Un argent gagné laborieusement est géré beaucoup plus strictement ! Jeter ainsi l'argent par les fenêtres sans qu'il corresponde toujours à un travail réel a ainsi des effets profondément négatifs.
"Chacun a le droit de faire ce qu'il veut de l'argent qu'il a gagné". Peut-être... mais dans le cas des JSD il faudrait qu'il ait été effectivement "gagné" ( ce qui est loin d'être toujours le cas ), et ne pas oublier non plus l'objectif avoué : le Service du Développement. D'une façon ou d'une autre, il faudrait veiller à ce que cet objectif soit effectivement respecté dans les moyens et dans la finalité.
Je crois à la formule "la régénération par le travail" ... même si elle est associée à l'image du bagne !
Créer, produire, inventer, construire, embellir...
contribue à l'épanouissement de l'homme,
lui permet d'assurer sa vie, son avenir,
est une façon de dominer les forces de désordres dans nos vies.
Faire des "cadeaux", sans contrepartie réelle, va à l'encontre de tout cela.
Pour le moment je sens que la collectivité est perçue comme une vache à traire. Il faut acheminer dès maintenant à un autre état d'esprit : chacun est appelé dans l'avenir, non seulement à devenir économiquement "majeur", mais devra pouvoir contribuer au financement des projets collectifs.
Que la collectivité qui, en 98, sera dépendante des richesses produites par les citoyens, dès maintenant habitue ceux-ci à ne plus dépendre d'elle, et les prépare à pouvoir subvenir à ses besoins. C'est une question de survie pour cette collectivité.
Un autre sujet d'inquiétude : le cannabis.
Je suis affolé de voir ce qui se passe à Ouvéa sans la moindre réaction des autorités parentales, coutumières, politiques ou administratives.
Quel avenir dans ces conditions ???
(...)
septembre 1989
PROBLEME DU CANNABIS A OUVEA
Non réprimée, la culture du cannabis et son usage ( les deux n'étant pas forcément liés ) ont pris des proportions inquiétantes, car ils tendent à concerner de plus en plus de monde.
Plus on laissera les choses courir,
plus il y aura de personnes qui auront expérimenté le cannabis,
plus des états de dépendance psychologique auront été créés,
et plus donc, il sera difficile d'y apporter remède.
Pourquoi lutter contre le cannabis ?
A cause des effets sur la santé psychique, qui conduisent parfois jusqu'à Nouville.
Parce que c'est "une évasion" de la réalité, un paradis "artificiel", et qu'un homme véritable ( un "kanak" ) doit avoir les pieds sur terre.
Parce que,
pas plus qu'on ne peut compter sur des alcooliques pour construire un pays, pour assumer les responsabilités familiales et sociales d'une façon harmonieuse,
pas plus on ne peut compter vraiment sur des personnes en état de dépendance par rapport à la drogue.
Pour assumer des responsabilités, pour construire,
il faut avoir la possibilité d'analyser la réalité des problèmes afin d'y trouver des solutions
et il faut avoir la capacité, en terme de volonté, d'affronter les problèmes.
La drogue, faisant entrer dans un paradis artificiel, est une fuite des réalités et anéantit toute possibilité d'apporter de vraies solutions aux vrais problèmes.
Pourquoi agir vite ?
Parce que, plus on aura laissé courir les choses sans rien faire, plus il sera difficile d'intervenir... car quel critère pourra-t-on invoquer alors ?
Dans l'état des choses, il ne peut y avoir d'action que d'envergure et de choc.
Le cannabis ne touche plus uniquement le milieu "grands adolescents". Des chefs de famille, des hommes ayant des responsabilités coutumières, politiques, éducatives sont touchés. Des jeunes filles aussi, les mères de demain.
Et dans la mesure où ceux qui servent traditionnellement de référence à l'enfant alors que se structure sa personnalité sont touchés ... celui-ci va entrer inévitablement de plus en plus jeune dans le circuit de la drogue.
Difficultés pour agir
Les structures coutumières, à Ouvéa, du fait des divisions, n'ont plus l'autorité qu'on pourrait leur prêter à Nouméa.
Les parents laissent faire parce qu'ils se sentent impuissants.
Les forces de l'ordre, auxquelles reviennent de droit la répression, ont les mains liées par le contexte politique, délicat pour elles, et les consignes qu'elles ont reçues.
Le cannabis n'est pas perçu comme un danger pour la santé et une menace pour l'avenir, et entre de plus en plus dans le champ culturel.
Comment en sortir ?
Par une action concertée des autorités coutumières, politiques, civiles et judiciaires, avec la coopération active des Eglises, des mouvements et des milieux éducatifs et sanitaires.
Chacun, de son côté, est impuissant. Mais tous ensemble, s'ils s'investissent à fond dans une action en profondeur, peuvent arriver à quelque chose.
Proposition :
- création d'un comité de crise à l'instigation de la Municipalité, seule autorité à peu près généralement reconnue. - mise en place d'une commission, à l'image de celle qui avait été constituée pour la restitution des armes en Mai 89.
Ouvéa pourra se ressaisir, mais ne le pourra que dans la mesure où elle se sentira soutenue ( poussée ? ) dans cette "action impossible" par l'extérieur : autorités civiles, politiques, judiciaires. La restitution des armes, si elle a été prise en mains par les Ouvéa, a été en effet grandement aidée par la présence et le soutien ( par la pression ? ) de ces autorités.
Action psychologique
Deux axes :
- on ne construit d'avenir que "les pieds sur terre"
- dévalorisation de l'image du fumeur lutter contre l'image du pétard comme "une expérience", le montrer comme une fuite, une lâcheté... le fait de "couilles molles" pour reprendre l'expression de J.M. Tjibaou.
Dans cette perspective : concours de dessins, de slogans, dépassant le niveau habituel des écoles.
L'éternel débat...
Faut-il agir contre le cannabis
ou travailler plutôt à donner des "raisons de vivre"... ?
Je pense que les deux doivent être menés de front.
Se contenter de donner des raisons de vivre ne pourra éradiquer le cannabis. Alors qu'une enveloppe emplie de feuilles se vend 50.000 CFP, et qu'on sait le travail que réclame le coprah, il est inévitable que la culture du cannabis se poursuive si elle n'est pas réprimée. ...Et tant qu'il y aura des plants de cannabis, se sera la possibilité, à portée de main, de "replonger".
OUVEA JUIN 1990
Article pour un bulletin de liaison des Maristes d'Océanie
J'ai la plume difficile. Je n'ai pas l'habitude de faire des dissertations sur thème imposé. Chaque fois que je suis intervenu c'est, poussé par le évènements : je ne pouvais pas ne pas le faire ; trop de valeurs essentielles étaient en jeu.
La seule chose que je pourrais dire aujourd'hui : je suis inquiet. Etre inquiet pour Ouvéa ne veut pas dire être inquiet pour la Calédonie si ce qui se passe ici n'est pas le reflet de ce qui se passerait sur la Grande-Terre. Je l'espère de tout mon coeur.
Depuis les accords de Matignon, Ouvéa a retrouvé le calme, certes... mais un calme plus près de l'oisiveté ( mère de tous les vices ! ) que de la sérénité où se mettent en place des projets fiables.
Après les années de troubles, le sport a repris ses droits. Mais ce sont trois après-midi par semaine qui sont consacrées à l'entraînement par les forces vives de l'île ( hommes et femmes de 16 à 40 ans ). Une partie des soirées et des nuits est consacrée au bingo. Ouvéa est démobilisée. On ne prépare plus l'avenir, on jouit du présent et de la "manne céleste" d'une France généreuse ( attention à ne pas mettre une connotation morale à ce terme, ce serait aller au-delà de ma pensée ! ).
Sur le plan infrastructures, ça se développe. Toutes les routes sont maintenant coaltarées. On construit des citernes, des Maternelles, des internats ; l'électricité rejoint peu à peu toutes les tribus; bientôt, nous l'espérons, ce sera le téléphone. Mais la seule ressource de l'île, le coprah, est tombé en désuétude. Les gens peuvent en effet subvenir à leurs besoins par de petits emplois temporaires fournis par la Municipalité ou la Province. A l'issue du contrat, ils touchent les allocations chômage. Les hommes qui étaient dans le secteur production passent ainsi au secteur tertiaire !
Ces emplois sont démobilisateurs, ne sont pas un gage pour l'avenir, et ne sont en rien générateurs de richesses sauf pour les magasins de Nouméa. Il y a certes une floraison de petits commerces ! Chaque tribu a autant de "Groupements d'Intérêt Economique" que de partis... Aberration économique : ils ne sont pas viables, démarrent souvent à partir de subventions; il faut faire des fêtes, des bingos pour régler les fournisseurs. Aberration humaine : on entretient artificiellement les clivages. Une floraison de GIE, d'associations culturelles - fantômes - dans le seul but souvent d'obtenir des subventions.
(...)
Le cannabis a sa place dans cette a-motivation : ça rend cool... cool... Et puis, si vraiment on a des besoins d'argent, il existe des filières pour la vente sur Nouméa.
Cependant, si, il se fait des choses. C'est à l'initiative du front de lutte anti-néocolonialiste ( regroupement de trois petits partis politiques qui ne sont pas dans le FLNKS ), et non de ceux qui détiennent le pouvoir. Sur les trois fours de séchage de coprah prévus, un seul a réussi à se mettre en place : celui dont Gossanah assure le fonctionnement. La seule coopérative véritablement active est celle du LKS : elle ne cesse de développer ses activités et d'offrir de nouveaux services. Là où il se passe quelque chose c'est là où la manne céleste est le plus chichement distribuée !
Cet assistance génère une mentalité assez pénible parfois : "Tout nous est dû". Le service de Santé en pâtit tout particulièrement. C'est la valse du personnel à cause des exigences, des insultes et des menaces dont ils sont l'objet. Il n'est pas question pour les gens de se plier à un horaire : ils dérangent pour des riens à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Il faudrait leur donner tous les médicaments qu'ils réclament - piqûres et vitamines avant les rencontres sportives !...
Les élections municipales d'Ouvéa ont été annulées pour la seconde fois consécutive car les uns et les autres essaient tout pour obtenir la gestion de la municipalité et des sommes considérables qui y transitent.
Beaucoup de gens ne réglant pas leurs factures d'électricité, c'est la municipalité qui les règle ! On fait perdre aux gens le sens de la responsabilité. Je me demande où l'on va ; et je crains que nos élus locaux n'aient rien compris des véritables enjeux. Je suis inquiet.
Vous attendiez sans doute de ma part une ode au sang de nos martyrs... Puissent-ils n'être morts pour rien.
http://www.ifrance.com/francoisxavierdeviv...ouvea.htm#Ouvéa